CITATIONS. Le 08/10/2020. Contrairement aux idées reçues, les millennials apparaissent plutôt sages avec leurs économies. Ils se distinguent surtout de leurs aînés par leur volonté de donner du sens à leurs placements. Par Aurélie Blondel.

Au gré de vidéos aussi savoureuses que virales, un beau gosse aux costumes ajustés a fait le buzz ces derniers mois en incitant les jeunes, coupe de champagne ou cigare à la main, à… devenir riches. Le gimmick « moi je pense, la question elle est vite répondue » ponctue les interventions de JP Fanguin, devenues cultes sur les réseaux sociaux. Si la plupart des jeunes ayant partagé ces séquences l’ont fait « pour rigoler », d’autres ont pu, à cause d’elles, se laisser séduire par des jeux très risqués… Une enquête du Parisien accuse en effet le fameux JP – qui s’en défend – d’être rabatteur pour une société vendant des formations de trader sur le Forex (marché international des devises) en s’appuyant sur le marketing de réseau.
Ces vidéos ne sont pas un phénomène isolé. Au point que l’Autorité des marchés financiers (AMF) a fini par publier, en juin, une mise en garde contre ce type de société. Histoire de rappeler que « l’argent facile n’existe pas » et qu’on « ne devient pas trader en quelques heures ».
Car ces investissements séduisent de plus en plus les jeunes, qui sont par ailleurs nombreux à s’être lancés en Bourse durant le confinement. Selon l’AMF, l’âge médian des nouveaux acquéreurs d’actions chez les courtiers en ligne entre fin février et début avril 2020 était ainsi de seulement 36 ans (un sur deux, donc, avait moins de 36 ans), contre 49 ans en 2018-2019. « Parmi nos clients de 18 à 30 ans, un sur dix a désormais un compte Bourse, soit deux fois plus qu’avant le confinement », constate Xavier Prin, directeur marketing de Boursorama Banque.
ING rapporte de son côté que les 18-35 ans ont représenté quasiment 40 % des ouvertures de compte « Bourse » entre mars et mai. Même tendance chez Yomoni : « Les sites de paris sportifs en ligne, dont les jeunes sont friands, étaient à l’arrêt, faute de matchs. Certains pensaient trouver une alternative », ajoute Sébastien d’Ornano, son président.
L’espoir de « faire un gros coup »
Rien d’étonnant, selon Nicole Prieur,philosophe et thérapeute familiale : « Les jeunes ont l’esprit du jeu, cet espoir qu’ils peuvent faire un gros coup. » Et c’est loin de n’être qu’une question d’argent : « Derrière l’espoir de gagner, il y a celui de gagner la reconnaissance des parents. De montrer, en jouant là où leurs aînés n’ont jamais osé s’aventurer, qu’ils sont d’une autre génération, de faire reconnaître leur identité. »
Si les vidéos de JP Fanguin et des autres ont pu véhiculer une image très caricaturale du rapport à l’argent des jeunes adultes, la réalité est cependant plus nuancée. L’épargnant ou l’investisseur moyen chez les 18-30 ans ne correspond en rien au cliché du jeune naïf, impulsif et imprudent.
Que sait-on, justement, de l’épargne et de l’investissement de ces millennials ? D’abord, qu’ils mettent de l’argent de côté. Le taux d’épargne des moins de 30 ans, 8,4 %, n’a en effet rien de négligeable, d’autant qu’il atteint 14,3 % (contre 15,6 % pour la population générale) si on ajoute les « transferts privés », les aides financières qu’ils reçoivent de leurs parents, selon les derniers chiffres de l’Institut national de la statistique et des études économiques.
Autre éclairage de l’Insee : les foyers dont la personne de référence a moins de 30 ans sont bien fournis en produits d’épargne. Leur taux de détention de livrets défiscalisés dépasse les 83 % ; c’est 36 % pour les livrets d’épargne-logement, et près de 24 % pour l’assurance-vie.
Par ailleurs, selon la Banque de France, les moins de 25 ans, qui constituent 29 % de la population, détiennent 28 % des Livrets A avec des montants placés pesant 11 % du total. Certes, ces produits ont souvent été ouverts par les parents quand ces jeunes étaient mineurs. Mais ce qui ressort des sondages et des dires des établissements financiers, c’est qu’ils sont régulièrement nourris – plus régulièrement, même, que ceux des plus âgés.
Versements réguliers
Ainsi, selon une enquête Ifop-Altaprofits publiée fin septembre, 81 % des moins de 35 ans détenant un ou plusieurs produits d’épargne y placent de l’argent au moins tous les six mois (contre 72 % de leurs aînés), et même une fois par mois minimum pour 49 % d’entre eux (contre 42 % des épargnants plus âgés).Un constat partagé par Xavier Prin : « Les jeunes ayant une assurance-vie chez nous fonctionnent davantage par des versements programmés, réguliers, que les autres. » Et par Thomas Perret, cofondateur de la fintech Mon Petit Placement, une solution d’assurance-vie ciblant en priorité les jeunes adultes : « 87 % de nos clients mettent en place un versement mensuel. »
La génération Y est un tout petit peu plus à même de choisir des produits présentant une dose de risque que ses aînés
Avec son épargne régulière, mais aussi ses aspirations à la propriété, qui ressortent clairement des enquêtes d’opinion, la génération Y apparaît au final très sage. Elle est néanmoins un petit peu plus à même de choisir des produits présentant une dose de risque, selon le sondage d’Altaprofits. A la question : « Quels sont les types de produits que vous privilégiez ? », 25 % des moins de 35 ans évoquent des produits un peu risqués ou risqués, contre 20 % de leurs aînés.
Les jeunes hommes sont prêts à prendre plus de risques que les femmes, parmi les personnes interrogées. Et quand les supports d’investissement allient technologie et risque élevé, les cryptomonnaies (bitcoin, etc.) par exemple, la surreprésentation des garçons explose ; Coinhouse ne compte ainsi que 10 % de clientes.
Reste à voir comment la crise sanitaire influera sur le rapport au risque des plus jeunes à long terme. Car « les études portant sur des catastrophes économiques, financières et naturelles montrent que celles-ci augmentent notre aversion au risque de manière durable, surtout si on a été frappé soi-même, et surtout si on a été frappé jeune », rappelle Mickaël Mangot, spécialiste de l’économie comportementale.
Autre différence avec leurs aînés, les millennials donneraient du sens à tout, même à leur épargne. « Les jeunes compartimentent moins les différentes dimensions de leur vie. Leurs parents travaillaient et investissaient pour gagner de l’argent et faisaient des dons ou du bénévolat pour “faire le bien” ; eux sont nombreux à vouloir intégrer leurs exigences éthiques dans tous leurs actes », observe Mickaël Mangot, auteur de L’Empire du sens (Eyrolles, 288 pages, 19 euros).
L’appétence des jeunes pour les investissements à coloration écologique ou sociale trouve un écho dans la dernière enquête du Forum pour l’investissement responsable (FIR) : « 28 % des moins de 35 ans se disent prêts à réaliser un investissement socialement responsable [ISR], contre 21 % des plus âgés », relève Grégoire Cousté, délégué général du FIR. Et si 59 % des plus de 35 ans disent accorder une place importante aux impacts environnementaux et sociaux dans leurs décisions d’investissement, ce taux atteint 72 % pour les plus jeunes.
Des investissements directs dans le social
Ces bonnes intentions peuvent toutefois être compliquées à concrétiser. Pour le moment, les jeunes ne se ruent pas sur les livrets dits « solidaires » commercialisés par certaines banques – Crédit coopératif, Nef, etc.
Ils se font en revanche moins discrets sur les plates-formes proposant d’investir directement dans des entreprises engagées sur le plan environnemental ou social. « Alors que les jeunes représentaient, en nombre, moins de 1 % des souscriptions annuelles en 2014, leur proportion a explosé à partir de la COP21, pour atteindre au final 22 % des souscriptions de 2020 », se félicite-t-on par exemple chez Energie partagée, qui investit dans le développement des énergies renouvelables.
Chez Lita.co, plate-forme de financement participatif pour les entreprises durables, les 18-30 ans pèsent environ 30 % de la clientèle, malgré le risque que présente ce type d’investissement.Quelles entreprises choisissent-ils de soutenir ?Celles axées sur l’impact écologique leur parlent plus que celles dirigées vers le social, répond Lita.
Et alors que la plate-forme propose deux types d’investissement, entrer au capital de l’entreprise (en achetant des actions ou des parts) ou lui prêter de l’argent (par des obligations), les jeunes adultes sont plus attirés par la première option, qui leur donne davantage l’impression d’être « acteurs » de leur placement, souligne Lin-Na Zhang, directrice commerciale et marketingde Lita.
Elle décrit aussi des millennials « moins dans la demi-mesure » que leurs aînés : « Alors que les plus âgés viennent généralement chez nous en complément de leurs investissements classiques, nos conseillers remarquent que les jeunes cherchent plutôt une alternative car ils sont défiants envers le système financier traditionnel, qu’ils trouvent peu transparent. » Génération « Y » comme « “y” voir clair dans l’utilisation faite de son épargne »… Une exigence en apparence simple, mais des plus compliquées à mettre en pratique.