INTERVIEW L’argent fait-il le bonheur, en particulier celui de ceux qui en ont beaucoup? La réponse de Mickaël Mangot qui enseigne à l’Essec l’économie comportementale
Challenges vient de publier son classement annuel des grandes fortunes françaises. L’adage veut que l’argent ne fasse pas le bonheur. Est-ce vrai dans le cas des super-riches?
C’est difficile à dire car les chercheurs manquent cruellement de données sur les super-riches, lesquels sont réticents en général à s’épancher sur leur vie. La règle est qu’effectivement, à l’intérieur d’un même pays, plus on est riche, plus en moyenne on est heureux. Par exemple, en France, les ménages appartenant au dernier décile en matière de revenus (soit les 10% les plus riches en revenus) donnent à leur vie une note moyenne de 7,8 sur 10 contre seulement 6 pour les ménages du premier décile. Mais être dans le dernier décile ne signifie pas être multimillionnaire. On ne sait rien de ce qui se passe à l’extrémité de la queue de distribution.
Quels sont les éléments scientifiques qui permettent d’évaluer le degré de bonheur d’un individu?
La recherche s’appuie généralement sur des enquêtes qui mesurent le bonheur subjectif rapporté par les individus eux-mêmes. Le fait que les réponses soient subjectives et auto-rapportées induit nécessairement des biais mais, à ce jour, il n’y a pas de meilleures mesures disponibles. C’est d’autant moins dérangeant qu’il a été montré que les évaluations faites par les individus sont fortement corrélées aux réponses que donnent leurs proches ainsi qu’à d’autres mesures plus objectives (l’activation de certaines zones cérébrales, les expressions du visage…).
N’y a-t-il vraiment aucune étude sur le bonheur des super-riches?
La seule enquête (à ma connaissance) comparant le bonheur des super-riches au reste de la population est une étude américaine qui date… du milieu des années 1980 ! Dans cette étude, les chercheurs avaient adressé un questionnaire à 100 membres de la liste des Américains les plus riches établie par le magazine Forbes (l’équivalent américain du classement de Challenges), soit des individus qui pouvaient arguer d’une fortune personnelle de plus de 125 millions de dollars et de revenus annuels de plus de 10 millions de dollars. Sur toutes les dimensions étudiées, le groupe des super-riches a affiché de meilleurs scores moyens que le groupe de contrôle, composé d’Américains « normaux ». Les super-riches passent plus de temps dans un état heureux, se disent davantage satisfaits de leur vie, ressentent plus souvent des émotions positives et moins souvent des émotions négatives que le reste de la population. En revanche, les écarts de bien-être apparaissent modestes, beaucoup plus réduits que ce que l’on pourrait imaginer. Pour les émotions positives, l’écart n’est même pas statistiquement significatif. Les super-riches ne rient pas plus souvent que les autres !